31/05/2009

Amidon et Paléonutrition


Les marqueurs utilisés en paléonutrition sont le plus souvent indirects, comme les marqueurs isotopiques osseux. Dans l’étude de K. Hardy et Coll (Journal of Archaeological Science 2009 36 : 48-55), pour la première fois, un marqueur direct des aliments consommés, l’amidon piégé dans le tartre dentaire a été recherché pour appréhender la consommation de céréales.
Par une méthode très sophistiquée, les auteurs ont extrait l’amidon du tartre dentaire et ont analysé la morphologie des grains. Cette étude princeps a porté sur des chimpanzés et de petits échantillons provenant d’un site datant de l’âge du bronze d’Anatolie et de sites historiques de Grande-Bretagne.
Des granules d’amidon ont pu être mis en évidence dans tous les échantillons. Leur morphologie est parfois altérée. La cuisson, la mastication des aliments et la diagenèse peuvent en être la cause. La comparaison avec les grains d’amidon de végétaux actuels a permis, par exemple, d’identifier des grains provenant de tubercules dans le site préhistorique d’Anatolie, d’orge dans un site historique. Par cette étude, les auteurs ont démontré la faisabilité de l'extraction et de l'identification des grains d’amidon du tartre dentaire, correspondant donc à des plantes qui ont été mastiquées. Les limites techniques sont d'une part la nécessité d’un bon état de conservation des grains et d'autre part le fait qu'il n'est possible que de déterminer le genre des plantes et non l’espèce.
Cette méthode ouvre cependant la voie à une approche directe de la consommation de céréales dans les populations archéologiques.

24/05/2009

Jean Dastugue (1910-1996)




Jean Dastugue (1910-1996) était un chirurgien orthopédique français, également anatomiste à la Faculté de Médecine de Caen. Il publia de nombreuses études paléopathologiques entre 1958 et 1995. Parmi celles ci, un ouvrage synthétique avec comme co-auteur V Gervais : « Paléopathologie du Squelette humain » (1992 Boubée édit) où il développe son approche personnelle de la paléopathologie. Il était particulièrement intéressé par les limites entre le normal, l'anormal et le pathologique.

Ses travaux ont porté notamment sur des nécropoles de France et du Maghreb. Il est un des premiers auteurs à avoir publier l’étude paléopathologique des restes humains comme un chapitre autonome dans des monographies d’études anthropologique. Il a notamment collaboré à l’étude des nécropoles préhistoriques d’Afrique du Nord de Taforalt et Columnata. Il a publié également des travaux sur les trépanations.

Il a fondé le laboratoire d’anthropologie de la faculté de médecine de Caen.

Liste non exhaustive de ses publications en suivant le lien du titre de cette note.


22/05/2009

La spondylolyse chez des paléo-indiens


La spondylolyse (du grec spondylos , vertèbre et lysis , destruction) est définie par la présence d’une séparation entre l’arche neurale et le corps vertébral. La localisation préférentielle est la cinquième vertèbre lombaire (L5), plus rarement la quatrième lombaire (L4) et la première vertèbre sacrée (S1). Les controverses sur l’étiologie de cette affection furent longues et nombreuses. Les tenants d’une hypothèse congénitale s’opposèrent longtemps à ceux d’une origine traumatique ou microtraumatique. L’hypothèse d’une fracture de fatigue, basée sur des travaux de médecine sportive, s’est imposée et ce mécanisme physiopathologique explique vraisemblablement la plupart des atteintes.
Dans les populations historiques et modernes européennes le taux est beaucoup plus faible, proche de 6 à 7%. Nous avions observé une prévalence de 4,9% sur un effectif de 102 rachis d’une nécropole historique (Paleobios 2004 13- lien dans le titre de cette note). Dans les populations anciennes nord-américaines, les taux les plus élevés sont rencontrés chez les Inuits.
L’étude réalisée par E Weiss sur 146 squelettes (66 H, 66 F et 14 indéterminés) d’une population paléoindienne d’un mound de la baie de San Francisco en Californie, datée de 2080 à 250 BP (International Journal of Osteoarchaeology 2009 19 375-385) retrouve également des taux très élevés de 16,4%. Les hommes ont la prévalence la plus forte (26% versus 11%). Une association significative avec une lombalisation de S1 n’a été notée que chez les hommes. Ce taux élevé de spondylolyse est en faveur de contraintes mécaniques importants dans cette population, notamment chez les hommes.
La spondylolyse est un marqueur utile pour approcher les contraintes physiques des populations mais nous considérons que seuls des taux élevés (au delà de 10%) dans une population peuvent avoir une signification, à condition que l'effectif soit important. Il n’est pas possible d’attribuer à cette lésion une valeur individuelle d’information sur le mode de vie d’un sujet donné, seule une étude statistique a une signification.

21/05/2009

Chondrocalcinose et ambiguité terminologique


Lorsque les terminologies médicales francophones et anglophones diffèrent pour une même affection, il suffit de les traduire. Plus difficile est la situation où un terme médical recouvre des entités proches mais non superposables selon les auteurs. C’est le cas pour les mots chondrocalcinose et chondrocalcinosis.
La chondrocalcinose est une arthropathie métabolique fréquente du sujet âgé caractérisée par l'infiltration par des cristaux de pyrophosphate de calcium des (fibro-) cartilages (typiquement du ligament triangulaire du carpe et des ménisques) et pouvant se traduire cliniquement par des poussées inflammatoires articulaires. Sa traduction en chondrocalcinosis avec pour synonyme « calcium pyrophosphate dihydrate disease » recouvre la même définition que pour les francophones.
Il semble que certains auteurs anglophones regroupent sous ce terme toutes les calcifications acquises de tissus myo-ligamentaires avec des causes multiples qui vont de la simple dégénérescence discale à l’acromégalie en passant par la chondrocalcinose strictu senso.
Ainsi, un article de S Mays et coll (International journal of Osteoarchaeology 2009 , 19 : 39-46) illustre cette ambiguîté terminologique. Il y est présenté un cas de «chondrocalcinosis » avec des calcifications intervertébrales associées à des lésions arthrosiques sévères des deux épaules, à des calcifications tissulaires d’origine inconnue car découvertes dans les sédiments, à des lésions fémorales (mais avec une manifeste ostéochondrite fémorale donc survenue dans l’enfance) et à des ostéophytes assez banaux. Les auteurs discutent les différentes étiologies possibles pour ce cas selon ce concept élargie «chondrocalcinosis» en particulier une ochronose sans pouvoir conclure d’autant que les études physico-chimiques des calcifications, dont la provenance peut être très diverse, n’ont rien donné. Cette discussion n'a pas de sens si on adopte la définition classique de la chondrocalcinose.
Il est donc très important de se méfier des différences terminologiques en paléopathologie, de bien déterminer le sens attribué à des syndromes et maladies par les différents auteurs, comme il faut se méfier des «faux-amis» en langue anglaise.

17/05/2009

Cribra orbitalia et hyperostose porotique crânienne


En paléopathologie comme dans bien des domaines, il y a des sujets qui sont périodiquement traités sans qu’aucune conclusion définitive ne puisse être portée. C’est le cas des facteurs déterminant la présence de cribra orbitalia, cet aspect microporeux orbitaire, et de l’hyperostose porotique qui est le même type de lésion mais sur la voûte crânienne. PH Walker et Coll proposent une mise au point bibliographique sur ce sujet (American journal of Physical Anthropology 2009, pre print on line). Par une analyse exhaustive de la littérature (5 pages et demi de références), ils décrivent les différents aspects lésionnels et s’attachent à analyser tous les facteurs étiologiques qui ont été évoqués par les différents auteurs.
Ils discutent le rôle des différents facteurs étiologiques à la lumière des données archéologiques, historiques et bioanthropologiques des populations des Pueblos des Etats-Unis.
A partir de ces données, leur conclusion est que ces deux lésions ne sont pas liées à des anémies ferriprives (carence en fer) mais résultent d'une conjonction de facteurs : carences nutritionnelles, états sanitaires médiocres, infections notamment intestinales, pratiques culturelles avec des accès variables selon les sujets aux moyens de subsistance. Le mécanisme physiopathologique serait une hyperplasie médullaire secondaire à des anémies mégalobastiques qui seraient donc les responsables directs de ces aspects de cribra orbitalia et d’hyperostoses porotiques. Ces anémies résulteraient de carences en Vitamine B12 chez les mères, aggravées chez l’enfant par une alimentation carencée et des infections digestives.
Les auteurs, par une déduction quelque peu audacieuse, indiquent que les carences en B12 ayant des conséquences neuropsychiques, cela pourrait avoir contribué à l’existence de l'importante violence interpersonnelle et de l’anthropophagie décrites dans les populations des Pueblos qui présentent fréquemment de telles lésions osseuses !

16/05/2009

Déformation crânienne et os lambdoïdes




Les pratiques consistant à appliquer des contraintes mécaniques sur les os de la voûte du crâne des enfants pour leur donner une conformation particulière variable selon chaque ethnie sont regroupées sous le nom de «déformations crâniennes». Par ailleurs, il existe de façon inconstante et avec une fréquence variable dans les groupes humains, des os surnuméraires dans les sutures crâniennes notamment au niveau lambdoïde. Pour plusieurs auteurs, les déformations crâniennes induiraient la formation d’un nombre plus élevé d’os suturaux, à partir notamment d’étude expérimentales chez des rongeurs. Les études dans les populations anciennes ont donné des résultats contradictoires.
C. Wilcziak et Coll (American Journal of Physical Anthropology 2009 on line pre print) ont étudié le lien entre les os lambdoïdes et les déformations crâniennes d’une série de crânes d’un site du Nouveau-Mexique (130-1680 AD).
Ils ont analysé 68 crânes normaux et 49 crânes déformés (40 déformations occipitales et 9 déformations lambdoïdes). Ils ont corrélé le type, l’importance de la déformation et son caractère symétrique ou non avec le nombre et la localisation des ossicules lambdoïdes. La seule corrélation positive a été observée entre les déformations asymétriques gauche et le nombre d’ossicules à droite mais cela pourrait être un effet d’échantillon.
Le débat reste ouvert et, comme le concluent les auteurs, des études portant sur des populations génétiquement homogènes avec des effectifs importants, notamment pour les ossicules avec faible prévalence, restent à faire.

15/05/2009

Fractures de côtes


Il est banal de découvrir des cals de fractures de côtes en étudiant des squelettes. Leur prévalence dans les populations est cependant mal connue, peu d’études systématiques étant disponibles dans la littérature. L’intérêt de l’étude réalisée par V Matos dans une série d’un musée portugais (American Journal of Physical Anthropology, 2009 on line pre print) contribue à combler cette lacune.
L’auteur a examiné 197 squelettes de sexe et âge connus datant de la fin du 19° et du début du 20° siècle. Il a observé des cals de fractures de côte dans 23,9% des sujets et 2,6% des côtes conservées. Les côtes moyennes ( 5° à 8°) et plus généralement celles qui s’articulent avec le sternum (1 à 7) sont le plus souvent concernées avec une prédominance à gauche. Les fractures sont le plus souvent unilatérales et dans environ un cas sur 10 plusieurs côtes adjacentes étaient fracturées.
Il existe une prédominance masculine modérée (environ 55% versus 45%), mais pas de prédominance nette d’une classe d’âge au décès.
Dans les autres études publiées dans la littérature, la prévalence varie de 5,2% à 31,3%, le taux de cette population récente portugaise se situe donc dans la moyenne de ces valeurs.
Enfin, l’auteur a corrélé les fractures de côtes et les causes de la mort et note que les décès par pneumonie sont associés aux fractures de côtes mais la fiabilité des diagnostics médicaux il y a plus d’un siècle sont largement sujets à caution, à mon avis.

12/05/2009

Pseudopathologie et insectes


Les lésions post mortem dans les sédiments ou lésions taphonomiques peuvent donner un aspect pseudopathologique. Celles provoquées par des rongeurs sur des os sont bien connues. Le rôle des insectes et en particulier des hyménoptères était mal connu jusqu’au travail de E. Pittoni (International Journal of Osteoarchaeology 2009 19 : 386-96.). En étudiant les squelettes d’une nécropole de Sardaigne d’époque romaine : Pill’e Matta, l’auteur a constaté la présence de perforations et d’érosions sur les os de 45 des 72 sujets. Les lésions touchaient notamment les os longs et les os plats de la voûte crânienne. Leurs diamètres allaient de 4 à 8 mm.
La responsabilité de guèpes de l’espèce Philantum triangulum qui construit des galeries dans le sol (et se nourrit d’abeille) et d’Halictidae (abeilles solitaires) dans la formation de ces lésions est établie par la constatation au cours des fouilles de la capacité de ces insectes à pénétrer dans ces tombes, par la similarité des diamètres des lésions osseuses et des galeries des insectes et par la découverte de larves. Par ailleurs, les tombes les plus profondes (2 mètres) étaient indemnes, ce qui correspond aux modes de vie de ces insectes. La perforation des os était facilitée par leur mauvais état de conservation dans cette nécropole qui altérait leur résistance.
L’auteur termine ce très intéressant article par la présentation de plusieurs cas démonstratifs.

09/05/2009

Hyperostose frontale interne en Hongrie


L’hyperostose frontale interne (HFI) est une ossification périostée survenant chez l’adulte à la face endocrânienne du frontal et qui peut s’étendre vers les pariétaux et les temporaux. Bien connues en médecine comme une découverte fortuite radiologique, chez l’adulte avec une incidence qui augmente avec l’âge, sans aucune signification étiologique précise ni conséquence clinique et thérapeutique, les HFIs ont fait l’objet de nombreuses publications en paléopathologie. Cela s’explique notamment par le fait que l’examen visuel des crânes permet, au moins quand ils sont fragmentés, de diagnostiquer aisément ces lésions. Plusieurs classifications ont été proposées pour tenir compte de l’importance variable du développement de l’HFI.
T. Hadju et coll ont recherché systématiquement les HFIs dans une importante collection de 803 crânes d’adultes provenant de plusieurs séries archéologiques hongroises datant de l’âge du Bronze au 17° siècle (Homo, Journal of Comparative Human Biology, 2009 sous presse).
Leur étude a consisté à étudier tous les crânes dont la partie endocrânienne était examinable visuellement (avec donc une fracturation de la voûte). Ils ont observé 15 cas chez les hommes et 5 cas chez les femmes soit une prévalence totale de 2,5%.
L’hétérogénéité de cette collection et la faible prévalence des HFIs rendent difficiles l’analyse de la variation dans l’espace et dans le temps en Hongrie. Cette publication à l’intérêt de fournir le taux de prévalence globale dans une série numériquement très importante mais aussi de proposer une bonne revue de la littérature sur les Hyperostoses Frontales Internes.

08/05/2009

Mirko D. Grmeck (1924-2000)


Ce chercheur au destin exceptionnel était un grand historien de la médecine notamment antique, il a développé en paléopathologie le concept de "Pathocénose" : état d'équilibre des maladies à un moment donné de l'histoire dans une société donnée.
D’origine croate, il s’engagea à 18 ans dans la résistance puis dans les Forces alliées. Il entreprit ensuite des études de médecine à Zagreb et choisit de se consacrer à la recherche sur l’histoire de la médecine. Il fonda l’Institut d’histoire des sciences de Zagreb et dirigea la première Encyclopédie de la médecine.
Il s’installa à Paris en 1963 où le Collège de France lui confia le classement des notes de Claude Bernard, dont il devint le spécialiste internationalement reconnu. Naturalisé français en 1967, il prit la direction d'une monumentale Histoire de la pensée médicale en Occident, pour laquelle il constitua une équipe interdisciplinaire internationale de médecins et biologistes, historiens et sociologues, philologues et philosophes.
Il a terminé sa carrière universitaire comme directeur d'études en histoire des sciences biologiques et médicales à l'École Pratique des Hautes Etudes qu'il avait intégré depuis 1972.
Pour les paléopathologistes, son livre « Les maladies à l’aube de la civilisation occidentale » (Payot éditeur) dans lequel il a développé son concept de Pathocénose est une base de réflexion majeure.
Parmi ses autres ouvrages il faut connaître notamment:
- Mille ans de chirurgie en Occident (1966).
- Histoire du sida (Payot, 1989, 1995).
- La Première Révolution biologique (1990).
- les Maladies dans l’art antique (1998).